Abandon de Néo et Kanal, taxe kilométrique ou aide du fédéral: comment les partis prévoient-ils de sauver les finances bruxelloises du gouffre?
Les partis dévoilent leur plan pour un retour à l’équilibre budgétaire de la Région bruxelloise.
- Publié le 25-04-2024 à 08h00
- Mis à jour le 25-04-2024 à 08h45
Alors que les partis politiques bruxellois s’invectivent sur Gaza, le code du bien-être animal ou la traduction de l’examen du permis de conduire, un gigantesque éléphant trône dans la pièce. Et menace de réduire à néant leurs ambitions post-électorales.
Car la situation budgétaire de la Région Bruxelles-Capitale, dont la note a été dégradée par l’agence de notation Standard & Poor's, est particulièrement préoccupante. Elle fait craindre un effet boule de neige, dans lequel chaque euro de recettes ne pourra servir qu’à payer les intérêts de la dette.
Cette dette atteint 15 milliards d’euros, soit plus de deux fois les recettes annuelles de la Région. Le déficit attendu en 2024 s’élève quant à lui à 950 millions d’euros.
Le ministre flamand en charge des Affaires bruxelloises, Benjamin Dalle (CD&V), a tiré la sonnette d’alarme la semaine dernière dans De Tijd. La Région doit en “revenir à l’essentiel”, assure le chrétien-démocrate, et assurer un retour à l’équilibre d’ici 2032. Le chef de file du CD&V à Bruxelles propose un douloureux plan de rationalisation du budget bruxellois, allant jusqu’à prôner l’annulation de “projets de prestige” comme les coûteux musées Le Chat et Kanal.
Cette proposition émane d’un ministre flamand. Ce n’est pas anodin. Alors que le thème budgétaire est central dans les débats du nord du pays, il reste périphérique, côté francophone, seulement animé par les avertissements épisodiques de Sven Gatz (Open VLD), ministre bruxellois du Budget, qui n’est pas parvenu à éviter ce dérapage budgétaire.
Les partis bruxellois francophones ont-ils seulement, au fond, un plan précis, une trajectoire cohérente, pour revenir à l’équilibre budgétaire en Région bruxelloise ?
La Libre leur a posé la question. Premier constat : le degré de priorité varie selon les partis. Le MR, les Engagés et Défi, d’accord sur plusieurs points de fond, se présentent comme les plus volontaristes. Écolo paraît plus prudent, tandis que, si on juge ses propositions, le PTB ne semble pas faire du retour à l’équilibre budgétaire un enjeu majeur.
Le PS bruxellois, et son président Ahmed Laaouej, n’a quant à lui même pas souhaité communiquer à La Libre son plan budgétaire, en dépit de demandes répétées.
Voici comment ils comptent renverser la vapeur à Bruxelles après les élections de juin ?
1 Stopper des projets d’envergure ?
Zakia Khattabi plaide pour "l’abandon ou le report d’investissements qui, dans le contexte budgétaire qui nous occupe, n’ont pas d’intérêt collectif évident." "Je pense au projet Neo, pour lequel on attend toujours de la clarté sur le développement du plateau et le projet de rénovation des palais des expositions. Kanal doit aussi être audité."
Plusieurs partis, dont Écolo et la N-VA, proposent d’en finir avec certains projets d’envergure, pour réduire le déficit public. La candidate écologiste Zakia Khattabi plaide pour “l’abandon ou le report d’investissements qui, dans le contexte budgétaire, n’ont pas d’intérêt collectif évident”. L’actuelle ministre fédérale du Climat cite trois projets particulièrement chers au PS bruxellois et en particulier à Philippe Close : “Je pense au projet Neo, pour lequel on attend toujours de la clarté sur le développement du plateau (du Heysel) et le projet de rénovation des palais des expositions. Kanal doit aussi être audité.”
Une position qui rejoint donc celle de Benjamin Dalle, mais aussi celle des Engagés et de la N-VA pour qui le coût de Kanal est aussi jugé excessif.
Zakia Khattabi cite encore le Métro Nord. “Il n’y a actuellement pas de solution de financement pour Nord-Bordet. Et les problèmes restent significatifs au Palais du Midi.” Écolo reste toutefois isolé sur ce sujet puisque tant le MR, que les Engagés, le PS, Défi ou la N-VA souhaitent l’aboutissement du Métro.
Le PTB propose de son côté une “reprise en main du chantier par une société publique”.
2 Un refinancement de Bruxelles ?
Alors que plusieurs partis plaident pour une nouvelle réforme de l’État, Bruxelles doit-elle, en tant que capitale, voir son financement accru ? La Flandre n’est guère ouverte sur la question. Pour Benjamin Dalle, “le sous-financement de Bruxelles est un mythe”.
Les partis francophones ne sont pas unanimes sur le sujet.
”Bruxelles doit être mieux soutenue dans son rôle de capitale, estime Zakia Khattabi. D’autres niveaux de pouvoir doivent reprendre en charge des dépenses que Bruxelles assume aujourd’hui, par exemple pour l’accueil des personnes migrantes.”
Bernard Clerfayt, tête de liste Défi et ministre de l’Emploi, réclame quant à lui “un juste financement du fédéral”, notamment pour la sécurité dans la capitale. “Le financement moyen par policier s’élève à 34 199 € à Bruxelles contre 46 630 € en Flandre et 53 890 € en Wallonie. L’alignement sur la moyenne nationale (48 999 €) générerait un financement supplémentaire de 73 millions d’euros aux zones de police bruxelloises.”
Christophe De Beukelaer estime, à l’instar du PTB et d’Écolo, qu’un refinancement de Bruxelles est nécessaire. Mais pour les Engagés, la capitale ne doit pas réclamer de chèque en blanc. “Les réformes et la diminution du chômage à Bruxelles doivent convaincre les autres entités d’augmenter le financement fédéral de Bruxelles, via Beliris ou autres mécanismes.”
Bruxelles a déjà été refinancé plusieurs fois. Redemander un financement équivaut à vouloir éviter le vrai debat et les vraies reformes. Il faut d’abord avoir une mise à zéro de chaque ligne du budget bruxellois."
Le MR adopte une ligne très différente. “Bruxelles a déjà été refinancée plusieurs fois, rappelle David Leisterh, candidat au poste de ministre-président bruxellois. Les dépenses ont explosé à partir de 2017 parce que certains ont dépensé l’argent qu’ils n’avaient pas. Redemander un financement équivaut à vouloir éviter le vrai débat et de vraies réformes. Il faut d’abord avoir une mise à zéro de chaque ligne du budget bruxellois.”
Comment réduire structurellement les dépenses ?
Parmi les partis interrogés, le MR, Défi et les Engagés proposent les méthodes les plus drastiques pour assurer un retour à l’équilibre budgétaire, sans toutefois fixer de date précise.
Les Engagés comme le MR, proposent “un vrai budget base zéro”. Ils proposent aussi de s’attaquer aux subsides. Bernard Clerfayt (Défi) est le seul à chiffrer concrètement la mesure : il prône “une diminution de 50 %” des subsides facultatifs, laissés à la discrétion de chaque ministre, pour une économie importante de 137 millions d’euros par an.
Ces trois mêmes partis réclament la rationalisation et la réduction du nombre d’entités publiques bruxelloises, en vue d’en améliorer leur fonctionnement et d’en diminuer le coût. David Leisterh (MR) propose d'” imposer par voie légale l’équilibre budgétaire des entités publiques avec une limite de déficit structurel fixée à 0,5 % du PIB et l’organisation de contrôles budgétaires trimestriels”.
Il faut réduire progressivement les cabinets ministériels pour arriver à leur suppression définitive et diminuer de moitié le nombre de mandataires politiques bruxellois."
Les administrations ne sont pas les seules visées. La tête de liste des Engagés à la Région, Christophe De Beukelaer, a présenté un programme de diminution des dépenses courantes de 600 millions d’euros par an. Il propose notamment de “réduire progressivement les cabinets ministériels pour arriver à leur suppression définitive et diminuer de moitié le nombre de mandataires politiques bruxellois”.
Bernard Clerfayt (Défi) ne va pas jusqu’à une suppression complète des cabinets, mais il souhaite “réduire leur coût de 75 %” et diminuer le nombre de parlementaires bruxellois de 89 membres à 60.
Sur ce même terrain, François De Smedt (PTB) veut en finir “avec les privilèges des élus”, et “notamment diviser par deux les salaires des députés et ministres.”
Il faut diviser par deux les salaires des députés et ministres."
Le PTB ne propose aucune mesure d’économie structurelle en dehors de ces diminutions des rémunérations de mandataires publiques. Au regard du déficit public, son plan de redressement des finances paraît donc globalement dérisoire.
Écolo, qui assure que le travail d’élaboration d’une épure budgétaire est encore en cours au sein du parti, se situe quelque part entre le bloc MR-Défi-Engagés et le PTB. Il plaide un retour à “une soutenabilité budgétaire” en opposition à “un retour aveugle, brutal à l’équilibre budgétaire”.
Les thèmes varient aussi selon le rôle linguistique. La N-VA, Vooruit et le CD&V sont d’accord pour fusionner les six zones bruxelloises de police, ce que les partis francophones ne souhaitent pas.
Comment augmenter les recettes ?
Pour augmenter les recettes fiscales, le MR veut recréer de la classe moyenne et attirer des entreprises dans la capitale. Il propose notamment un “crédit-pont pour les primo acquéreurs” qui veulent s’installer dans la capitale mais aussi une réforme d’Actiris et de Bruxelles-Formation.
Les Engagés comptent principalement sur leur plan Emploi pour diminuer de moitié le chômage bruxellois en 10 ans et ainsi augmenter les recettes de 400 millions d’euros par an.
Personne, en dehors de Sven Gatz et de Bernard Clerfayt, n’a pointé dans ses réponses à La Libre l’introduction de la taxe kilométrique. “Cette fiscalité pèsera davantage sur les navetteurs qui profitent des infrastructures bruxelloises sans en supporter le coût. Les recettes de Smartmove ont été estimées entre 200 et 250 millions d’€”, assure Bernard Clerfayt.
Outre Smart Move, aucun parti ne propose de hausse des taxes. À quelques semaines des élections, cela n’a rien d’une surprise…